Les liens croissants entre l'Amérique latine et la Chine se sont intensifiés ces dernières années. Alors que les relations des États-Unis avec la région ont été façonnées par des politiques telles que les tarifs douaniers et les menaces, la Chine a su tirer parti de cette situation pour étendre son influence à travers le commerce, les investissements et les projets d'infrastructures.
L'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) joue un rôle clé dans la diminution de l'influence américaine en Amérique latine, offrant aux pays de la région une alternative en matière de capital et de partenariat économique. En échange, la Chine accède à des ressources stratégiques, des marchés prometteurs et une position géopolitique renforcée. Des pays comme l'Argentine, le Brésil et le Chili se tournent de plus en plus vers Pékin pour diversifier leurs partenariats et réduire leur dépendance vis-à-vis de Washington.
La diplomatie des menaces et des tarifs des États-Unis, notamment les promesses de Trump pour son éventuelle deuxième administration, a éloigné certains pays latino-américains, soucieux d'éviter l'isolement économique et politique. À l'inverse, les accords commerciaux chinois, généralement dépourvus de conditions politiques strictes, séduisent davantage. Ce basculement vers l'influence chinoise semble s'accélérer, d'autant plus que les États-Unis se concentrent sur leurs enjeux internes et leur rivalité avec Pékin.
Cependant, cette tendance soulève des questions sur les impacts à long terme sur la souveraineté, la stabilité économique et le positionnement géopolitique des pays latino-américains. Si l'influence croissante de la Chine offre des opportunités, elle pourrait également créer de nouvelles dépendances. La région semble s'orienter vers un équilibre complexe entre les deux puissances, mais la dynamique actuelle penche en faveur de Pékin, alors que les nations latino-américaines maximisent leurs opportunités dans un monde multipolaire.
Le facteur Chine : pourquoi Trump s'inquiète
Selon une étude brésilienne, la stratégie chinoise alliant pragmatisme économique et engagement diplomatique séduit de nombreux pays d'Amérique latine confrontés à des défis de développement et à un déficit d'infrastructures. Contrairement aux États-Unis, qui conditionnent souvent leur aide à des orientations économiques ou politiques, la Chine propose un soutien financier relativement inconditionnel, renforçant ainsi son image de partenaire privilégié sous le label de la coopération « Sud-Sud ».
Des pays comme le Brésil et le Pérou se tournent de plus en plus vers Pékin, érodant progressivement l'hégémonie traditionnelle des États-Unis dans la région. La Chine est désormais le principal partenaire commercial du Brésil, du Chili, du Pérou et de l'Uruguay, et le deuxième après le Brésil en Argentine, à la fois en termes d'échanges et d'investissements étrangers.
Trump, en revanche, risque de creuser davantage le fossé avec l'Amérique latine par sa posture conflictuelle. Là où Pékin mise sur des projets d'infrastructures et le développement socio-économique, Trump maintient une rhétorique impérialiste peu attractive pour la région. Des projets comme le port de Chancay au Pérou illustrent la capacité de la Chine à offrir des alternatives tangibles à la domination américaine.
Face à cela, Trump a menacé d'imposer un tarif de 60 % sur les transactions via le port de Chancay et de sanctionner les nations BRICS pour leur réduction de la dépendance au dollar américain, une tendance déjà amorcée. Tandis que Xi Jinping prône un discours de partenariat et de développement partagé, Trump persiste dans une approche de confrontation, cédant ainsi à Pékin un avantage dans la bataille pour les cœurs et les esprits des leaders latino-américains.
Brésil : en dehors des Routes de la Soie, mais première destination des investissements chinois en Amérique Latine
Les investissements chinois au Brésil continuent de croître, faisant du pays la première destination des capitaux chinois en Amérique latine, malgré l'absence d'une adhésion formelle du Brésil à l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie.
En 2023, 72 % de ces investissements étaient dirigés vers des projets d'énergie renouvelable et de durabilité, soulignant une forte priorité aux initiatives vertes. Par ailleurs, des entreprises chinoises comme la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) se sont implantées solidement dans le secteur pétrolier brésilien, participant activement à l'exploration et à la production.
Dans le secteur automobile, les fabricants chinois de véhicules électriques (VE) renforcent leur présence au Brésil. BYD, leader mondial des VE, a notamment repris l'ancienne usine de Ford à Camaçari, dans l'État de Bahia, pour en faire un centre de production de véhicules électriques et hybrides.
Ces investissements reflètent le partenariat économique stratégique entre la Chine et le Brésil, englobant les secteurs de l'énergie, de la durabilité et de l'extraction des ressources.
Ce basculement pose un défi majeur à la nouvelle administration Trump, qui devra trouver un équilibre entre le maintien de l'influence des États-Unis dans leur « arrière-cour » et la montée en puissance de l'attractivité de la Chine. Les États-Unis risquent de perdre du terrain dans la région s'ils ne parviennent pas à engager un dialogue constructif avec l'Amérique latine, en particulier face à l'expansion chinoise. Tandis que le Mexique continue de dépendre des États-Unis pour plus de 80 % de ses exportations, le pays réfléchit de plus en plus aux avantages de diversifier ses relations économiques.
Mexique : si proche des États-Unis, si irrésistible pour la Chine
Les investissements chinois au Mexique ont explosé ces dernières années, notamment dans le secteur manufacturier, pour accéder sans droits de douane aux marchés américains et canadiens. Les principaux domaines d'investissement comprennent :
Automobile : BYD Auto étend sa présence au Mexique et prévoit de créer une nouvelle ligne d'assemblage pour produire des VE destinés aux marchés mexicain et américain. MG Motor a également annoncé un projet de construction d'une usine de fabrication et d'un centre de recherche et développement pour produire des véhicules adaptés au marché latino-américain.
Électronique et électroménager : En 2021, Hisense a investi 260 millions de dollars dans une usine au parc industriel Hofusan, près de Monterrey, pour fabriquer des réfrigérateurs et autres appareils destinés au marché nord-américain.
Informatique : Lenovo a établi un « méga site » au Mexique, dédié à l'assemblage d'ordinateurs, de serveurs et de racks informatiques, renforçant ses capacités de production dans la région.
Équipements de construction : Lingong Machinery Group (LGMG) investit 5 milliards de dollars pour construire une usine et un parc industriel dans le nord du Mexique, destinés à produire des équipements lourds pour la construction.
Le parc industriel Hofusan accueille plusieurs entreprises chinoises, avec des investissements totalisant environ 1 milliard de dollars et des plans d'expansion dans les années à venir.
Ces investissements se concentrent stratégiquement dans des États du nord du Mexique comme Nuevo León, Chihuahua et Sonora, profitant de leur proximité avec le marché américain et des avantages des accords commerciaux, tels que l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC). L'objectif des entreprises chinoises est de contourner les tarifs douaniers et de renforcer leur accès aux marchés nord-américains.
La doctrine Monroe est-elle encore d'actualité ?
Les dirigeants latino-américains restent conscients de l'héritage persistant de la doctrine Monroe, qui, depuis 1832, a justifié l'ingérence des États-Unis dans les affaires politiques régionales, soutenant notamment plusieurs coups d'État dictatoriaux. Cependant, la région est aujourd'hui confrontée à une réalité géopolitique plus complexe, où la présence économique de la Chine ne peut plus être ignorée. Sous l'administration Trump, on s'attend à une position plus ferme contre l'influence croissante de la Chine, en particulier au Mexique.
Néanmoins, les promesses de la nouvelle administration se sont jusqu'à présent concentrées sur le populisme, l'isolationnisme et une approche plus transactionnelle des relations internationales. Des pays comme Cuba, le Venezuela et le Nicaragua resteront probablement dans le viseur de Trump en tant que nations hostiles. En revanche, dans d'autres parties de l'Amérique latine, les groupes de droite, opposés aux gouvernements de gauche actuels au Brésil, en Bolivie, au Chili et en Colombie, nourrissent de grands espoirs que l'administration Trump soutiendra leurs aspirations politiques, en particulier à l'approche d'élections clés.
En résumé, la nouvelle administration Trump devrait adopter une approche plus dure et unilatérale en matière de migration, de commerce et de diplomatie. Bien que des leaders économiques comme Elon Musk, conseiller proche de Trump, puissent modérer certaines de ces décisions, la politique étrangère américaine semble se diriger vers une posture imprévisible, conflictuelle et centrée sur la protection des intérêts des États-Unis avant tout. En fin de compte, le message de Trump reste clair : les pays n'ont pas d'alliés permanents, seulement des intérêts en constante évolution.
Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique